L’intelligence artificielle va-t-elle aider les radiologues à mieux dépister les cancers du sein ?
En France, on estime que les cancers de l’intervalle représentent 17 % des cancers du sein. Une analyse rétrospective, publiée dans le Journal of Medical Screening, montre que l’utilisation du logiciel d’intelligence artificielle ProFound AI pour la mammographie 2D aurait pu contribuer à la détection de 48 % des cancers de l’intervalle et de 93 % des sous-groupes incluant les faux négatifs et les lésions dont les signes sont minimes. Le Dr Grégory Lenczner, radiologue à l’Institut du Sein Henri Hartmann (ISHH) réagit à cette publication.
Qu’est ce que l’Intelligence artificielle ?
Il existe deux types d’IA: le « machine learning » et le « deep learning ». Dans le premier cas, c’est l’humain qui apprend à la machine à identifier une anomalie. Dans le second cas, on lui fournit des images normales et pathologiques ainsi que des comptes-rendus et c’est la machine qui apprend seule à reconnaître les images anormales. Le danger du « machine learning » est que l’algorithme ne sait discerner QUE ce qu’on lui a strictement appris. Il considérera comme normal une anomalie qu’il n’aura jamais rencontrée.
Une étude s’était même amusée à apprendre à un algorithme à reconnaître un chien sur un canapé ! Après un certain temps, le logiciel reconnaissait sans aucun souci un canapé seul et un canapé avec un chien. Mais lorsqu’on a introduit une image de canapé avec un éléphant dessus, le logiciel ne dépistait pas d’anomalie et considérait qu’il n’y avait qu’un canapé (effectivement il n’y avait pas de chien). La difficulté posée par le « deep learning », c’est donc la nécessité d’un nombre très important de datas et par conséquent d’images pour que l’algorithme soit réellement performant.
L’intelligence artificielle (IA) en imagerie fait partie des grandes évolutions médicales potentielles. Les radiologues de l’ISHH l’utilisent depuis plusieurs années et aident des start-ups dans leurs développements. L’IA sera utilisée par les radiologues, non pas pour les remplacer, comme certains se plaisent à l’imaginer, mais plutôt pour les seconder.
Depuis de nombreuses années, la charge de travail en radiologie ne cesse de s’accroître en se diversifiant et le nombre de radiologues ne fait que diminuer. Devant cette équation menant inévitablement à un problème sanitaire, comme nous l’observons actuellement pendant la crise du Covid, l’IA pourrait être une partie de la solution pour le plus grand bien de tous. L’IA les aidant dans certaines tâches et en leur facilitant le travail, ils pourraient retrouver leur vrai métier de médecin qui est celui d’être au plus près des patients pour les aider, les accompagner et les guider. L’article présenté ici parle des cancers de l’intervalle. La définition de ce type de tumeurs est qu’elles se développent entre 2 mammographies, de manière très rapide.
L’IA et ses applications en radiologie
L’intelligence artificielle (IA) en radiologie apparaît désormais comme l’une des grandes tendances et innovations actuelles. Mais elle fait débat : va-t-elle remplacer et mener à la disparition complète du radiologue ? Nous qui exerçons ce métier, nous le savons parfaitement : cet outil va à coup sûr nous aider mais certainement pas nous éclipser, en tout cas pas avant quelques dizaines d’années. L’IA va nous pousser à réinventer notre pratique quotidienne et à modifier notre manière de travailler. Ce qui conduira à une mutation de la radiologie, telle que nous la connaissons actuellement.
Aujourd’hui, quelle est la problématique majeure à laquelle nous sommes confrontés?
C’est l’afflux croissant du nombre de patients que nous devons examiner tous les jours et donc le risque, surtout en imagerie du sein, de « rater » une lésion. Dans cette vision de la radiologie, l’IA est un outil précieux qui va nous aider à être plus performants dans nos diagnostics et particulièrement dans les moments où notre attention s’amenuise : fatigue visuelle devant les écrans, fatigue physique en fin de journée, perturbation de l’attention par des interventions du personnel ou des appels téléphoniques.
Associer l’expertise du radiologue à la puissance de l’intelligence artificielle
En matière de sénologie, l’offre d’IA est variée avec des aspects et des procédés différents. L’objectif n’est pas de faire ici la promotion d’une solution ou d’une autre. Chacun se fera un avis quant au choix de telle ou telle technique. D’un point de vue scientifique, les dernières études concernant l’IA et le radiologue montrent que:
- l’IA est meilleure que la moyenne des radiologues, mais pas les sénologues (Rodriguez Luiz et al, Eur Radio Avril 2019)?
- 94% des systèmes d’IA sont moins performants que les radiologues experts (Freeman et al. BMJ 2021)
Le radiologue associé à l’IA est supérieur à l’IA seule ou le radiologue seul, que ce soit au niveau de la sensibilité ou de la spécificité.
L’IA entraînera donc un nivellement par le haut dans l’imagerie du sein. Et donc un plus indéniable pour les patientes. Des cancers de plus petite taille pourront ainsi être décelés.
L’IA ne nécessite pas de comparatif avec les anciens clichés et sera très pratique pour la détection de petits foyers de microcalcifications. L’algorithme sera une valeur ajoutée pour la détection des secondes voire troisièmes localisations de cancers, que l’on pourrait avoir tendance à manquer après la « satisfaction » naturelle ou le relâchement de l’attention, après l’identification d’une première lésion.
Les cancers de l’intervalle mieux détectés grâce à l’IA?
En France, il existe un dépistage organisé du cancer du sein pour les femmes entre 50 et 74 ans, avec un examen clinique et une mammographie tous les 2 ans. Cette campagne permet de diagnostiquer les cancers de manière le plus précoce possible, avant qu’ils ne soient suspectés par autopalpation effectuée par la patiente ou le médecin. Malheureusement, il arrive que des cancers agressifs, à croissance rapide, se développent entre ses 2 mammographies et soient très rapidement cliniquement palpables. Ces « cancers de l’intervalle », sont non détectables a posteriori sur les examens antérieurs.
Cet article indique donc que l’algorithme peut dépister les cancers « ratés », que le radiologue n’aurait pas vu. Or, les vrais cancers de l’intervalle sont des cancers qui démarrent entre 2 mammographies et ne sont donc pas visibles a posteriori sur les mammographies antérieures. Par conséquent cet article se trompe de terminologie lorsqu’il indique que les cancers de l’intervalle seront mieux détectés grâce à l’IA. Il n’y a donc à l’heure actuelle aucune solution d’IA qui permettra d’éviter les cancers de l’intervalle.
Les perspectives de l’intelligence artificielle en radiologie
Cependant, l’IA en mammographie sera très utile aux radiologues. Son objectif n’est pas pour l’instant d’être meilleure que ces spécialistes mais d’élever et de fiabiliser le niveau global en améliorant la détection et la caractérisation des lésions. L’IA ne fait pas mieux qu’un radiologue « expert » mais il peut éviter à un radiologue de manquer une lésion difficile à détecter pour des raisons techniques, la densité notamment. Les solutions d’IA en sénologie vont toutes dans ce sens. De plus, l’apparition de l’imagerie mammographique en 3D (tomosynthèse) permettra peut-être de dépister des lésions encore plus petites et souvent non détectable en mammographie 2D classique, même aidée de l’IA.
L’IA ne nous fera pas gagner du temps sur une vacation mais nous permettra plutôt une meilleure répartition de celui-ci, notamment pour se focaliser sur les examens nécessitant une attention plus particulière. Actuellement l’IA présente peu d’intérêt pour les radiologues experts : pour eux, elle peut entraîner un risque de sur-diagnostic et de faux positifs. Et surtout, il faudra avoir confiance dans l’outil. C’est pour cette raison que DRIM France IA (créé par les radiologues Français en 2019) coordonne une évaluation objective des différents outils d’IA afin que les radiologues puissent déterminer la solution qu’ils souhaitent utiliser.
A mon sens, l’avenir de l’IA réside dans le « deep learning » plutôt que dans le « machine learning ». Cette aide aura un intérêt pour la première lecture afin que les radiologues non experts ne passent pas à côté d’une lésion. Ce bon outil de « triage » des examens (simples ou complexes) permettra une normalisation des pratiques. Grâce à lui, nous pouvons envisager une diminution de l’ordre de 50% des cancers de l’intervalle (Lang Eur Radio 2021; Graenwingholt et al. J Med Screen 2021), ceux qui se déclarent entre deux mammographies de contrôle.
En conclusion, il faudrait parler d’intelligence augmentée plutôt que d’intelligence artificielle. L’algorithme nous apportera vraisemblablement une valeur ajoutée et présentera l’avantage de s’améliorer avec le temps. Reste aux radiologues, dès lors que l’outil sera bien maîtrisé, de mieux l’accepter. Il le faudra puisque l’IA associée au radiologue reste à ce jour plus performante que l’IA seule ou le radiologue seul. Demain l’IA sera donc le partenaire du radiologue. Il est à parier qu’on parlera même du « radiologue augmenté »!!!
Radiologue à l’ISHH